Filature #2: Lui

Allongé sur son lit, il contemplait le plafond. Comme chaque nuit, il avait pour seule compagne l’insomnie.

Deux heure vingt-deux du matin. Voilà plus de trois deux heures qu’il cherchait le sommeil. Il ressassait les mêmes tourments comme chaque soir. Et comme chaque soir il ne parvenait pas à l’acceptation.

Qu’aurait-il pu faire pour éviter d’en arriver là ? Être davantage présent ? Aurait-il fallu qu’il se soumette totalement ? Disparaître, ne devenir qu’une illusion ?        

Il s’était fait la promesse de ne jamais céder à l’amour. Cette infâme tromperie l’avait suffisamment meurtri. Pour s’en protéger, il s’était forgé une carapace d’acier. Ce bouclier pouvait le rendre condescendant ou même très con avec les femmes de son entourage.

Sa réussite professionnelle était son seul objectif dans la vie. Il était connu pour ne rien lâcher, une réputation de requin sans scrupule. Son poste de contrôleur qualité dans une grande société lui conférait une certaine autorité. Sous ses ordres, il avait une dizaine d’employés. Il était davantage craint que respecté et il prenait même plaisir à les dominer. Il n’était pas là pour se faire des amis.

Seul dans son lit, à trois heures trente-sept du matin, la remise en question de son être commençait à le narguer. Lui, qui était constamment dans le contrôle, était sur le point de chavirer. Cette sensation ne lui plaisait pas du tout. En témoignait son agitation soudaine et les gouttes de sueur qui perlaient sur ses tempes. Il avait toujours tenu à l’écart l’introspection. À chercher, l’on trouve toujours, et il ne vaut mieux pas remuer ce qui est enfoui.
Il avait annihilé ses souvenirs d’enfance ; du moins en apparence, car le passé trouve toujours le chemin pour refaire surface d’une manière ou d’une autre et surtout quand on ne s’y attend pas.

Il était très jeune quand il fut forcé de devenir adulte. Son père absent, il vivait seul avec sa mère qui essayait tant bien que mal de joindre les deux bouts. Elle sombra dans une dépendance à l’alcool, et à d’autres substances plus dures que douces, afin de trouver une échappatoire à cette vie qu’elle n’avait pas choisie. Elle aurait voulu n’avoir jamais eu d’enfant et elle le lui rappelait continuellement. En particulier lorsqu’elle était enivrée, c’est-à-dire tous les jours.      
L’amour maternel, il ne le connaissait pas. Après tout, on est pas obligé d’aimer ses parents, se répétait-il souvent pour se rassurer. 
              
Il était rejeté par ses camarades car il ne rentrait pas dans les codes imposés par la société. Son seul ami était un vieux poste cassette qu’il avait trouvé dans une poubelle et retapé. Il s’évadait tous les soirs à travers les ondes et enrichissait son éducation sexuelle grâce aux radios libres, qui avaient le vent en poupe à l’époque. Il attendait que passent les chansons qu’il aimait et les enregistrait sur sa cassette aux trous scotchés.            

Cette relation toxique lui permis d’être débrouillard très jeune. Il quitta le domicile de sa génitrice et trouva un petit job, les soirs et week-ends après les cours, afin de payer sa collocation. C’était une bande de cinq mecs, plutôt geeks que chics, mais ils étaient sympas et il découvrit avec eux les joies des soirées arrosées.   
Malgré l’absence de repères il n’avait pas abandonné ses études, et cela était sa plus grande fierté.

Il avait à présent un boulot stable et vivait confortablement dans un quatre-vingt-dix mètres carrés, bien trop grand pour lui, mais dans lequel il se sentait en paix.  Du moins il cherchait à s’en convaincre, les nuits où il luttait contre l’insomnie.            


Une fiction écrite par Mélissa, participante à l'atelier d'écriture à la manière de Sophie Calle #1 animé par Jérémy Bracone, suite à une filature dans la médiathèque Verlaine dimanche 20 mars.

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