Leïla contemplait le quai s’éloigner. Le port de Tunis devînt minuscule, jusqu’à disparaître de son champ de vision. Le grand voyage commençait ici, sur ce bateau. Elle s’était jurée qu’elle franchirait le cap. Sa terre promise serait la France. À force de détermination, elle avait fait de cet espoir une réalité.
Elle se sentait prisonnière dans son propre pays. En marge de la société, elle refusait d’adopter la culture qui lui était imposée. Cela lui valait de nombreux conflits au sein de sa famille. À son âge, elle aurait dû être mère et femme au foyer. Pourtant, à trente-cinq ans la jeune femme avait d’autres aspirations.
Lorsque le Nabil se trouva en pleine mer, elle fut saisie d’un pincement au cœur. Mais cette sensation fut brève. Elle contemplait le bleu du ciel se refléter sur la Méditerranée. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait libre.
Le voyage dura vingt-quatre heures. A Marseille, son amie l’attendait avec une pancarte mentionnant son prénom. Elles se saluèrent avec une chaleureuse accolade.
Elles s’étaient rencontrées sur un forum d’expatriés quelques mois auparavant. Sarah lui avait proposé de venir s’installer chez elle, à Metz. La vie qu’elle lui présentait était exaltante. Elle trouverait rapidement un emploi, des amis et serait intégrée dans sa nouvelle ville. Elle était rassurante et Leïla y croyait.
À bord d’une petite voiture, les deux compatriotes prirent la route. Elles se racontèrent leurs histoires, les douleurs du passé. Évoquèrent leurs projets et les bonheurs en instances. Le trajet était rythmé de rires et de larmes. Elles s’étaient bien trouvées.
« Bienvenue dans ta nouvelle vie ! », dit Sarah d’un ton enjoué lorsqu’elles arrivèrent à Metz.
Leïla lui sourit sans prononcer un mot. La fatigue de la route se mêlait à la peur de l’inconnu. Sa tête tournait, elle devait se reposer.
L’appartement se trouvait au deuxième étage, au fond d’une cour pavée. Pour y accéder, il fallait grimper un vieil escalier en bois qui craquait. Les voisins du premier étage se disputaient, leurs braillements se percevaient sur le palier.
Elles franchirent la porte et jetèrent leurs affaires sur le sol. Après une douche et une bonne nuit de sommeil, se dirent-elles, les esprits seront plus clairs.
Leila ne réussit pas à trouver le sommeil : trop de fatigue, trop d’émotion. C’est au petit matin qu’elle découvrit l’appartement. Il était petit mais chaleureux. Elle ouvrit la fenêtre et se pencha contre le garde-corps. Les commerces animaient le quartier : boucherie, épicerie, bar PMU, friperie et boulangerie. Elle enfila son jean et alla chercher le petit déjeuner.
La rue lui procura une sensation familière. Les échoppes lui rappelèrent celles de son pays. Des personnalités de toutes origines se côtoyaient et l’atmosphère était amicale, ce qui la rassura.
À son retour dans l’appartement, elle tomba nez à nez avec un homme. Les bras chargés de croissants, elle le salua. Il était grand, le crâne rasé et son regard carnassier n’inspirait pas confiance. Pourtant, à la minute où elle le vit, elle sut qu’ils seraient liés.
« Leïla, je te présente Samuel . C’est un ami. Je lui ai beaucoup parlé de toi. Il était impatient de faire ta connaissance.
– Ah oui ? répondit-elle timidement.
– Il a sa petite entreprise. Il pourra te trouver très vite du travail.
L’inconnu s’approcha, lui serra la main avec poigne.
– Bonjour, ravissante Leïla. Je suis enchanté.
Le machisme qui émanait de cet énergumène ne lui plaisait que très peu. Pourtant elle l’admirait.
– Les filles, soyez prêtes pour dix-neuf heures, je passerai vous prendre.
Sarah, excitée comme une puce, se pâmait devant lui. Lui ne lâchait pas du regard Leïla.
– Mettez vos plus belles robes, je vais vous présenter à des amis ».
Une fiction imaginée par Mélissa, participante à l'atelier d'écriture à la manière de Sophie Calle, animé par Jérémy Bracone, suite à une filature en extérieur en mars 2022.